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Alters Échos a déjà plus de 50 numéros à son actif. Une belle longévité ! C'était quoi le projet de départ ?
Avant le "départ" (premier numéro en janvier 2006) il est bon d'évoquer pourquoi il y eut... un départ. Nous pourrions symboliquement fixer le début d'une aventure collective durant l'été 2003. Déjà même, lors du printemps 2003, des centaines de milliers de manifestants avaient été jetés dans la rue, poussés par Fillon, afin de s’opposer à une réforme des retraites qu'il avait pondu et que rien ne viendra arrêter. A Paris, nous nous comptions quasiment deux millions ce 13 mai-là ! Des semaines de grève – parfois plus d’un mois, voire deux. La grève générale ne viendra jamais. Des liens se créaient, des solidarités émergeaient, se tissaient des réseaux qui ne demandaient qu’à grandir. Nous savons aujourd'hui que nous étions, certaines et certains, à se côtoyer, se croiser, souvent sans pourtant même se connaître (encore)… Le désir de victoire fit bien pschitt, tout le monde rentra humilié mais les braises restaient vives. Elles se rallumeront bien vite tant le besoin de « faire quelque chose » s’imposait. Et elles ne se rallumèrent pas tant pour protester que pour inventer, imaginer rêver d’un autre monde. Boum du grand rassemblement altermondialiste du Larzac en ce mois d’août, cette même année, pour fêter les trente ans de la lutte historique. Peut-être la pierre angulaire. La gigantesque boîte à idées des alternatives prenait réellement une tournure qui donnait envie. Et dans cette boîte à idée, l’idée qui ne fut pas la moindre, fut la naissance sur le Larzac du mouvement des faucheurs volontaires. Ils animeront largement en nombre et qualité les épisodes des années suivantes et l’Alternative en Midi-Pyrénées, entre autres initiatives que nous allions prendre. L'idée était de construire un monde solidaire, de soutenir les pays du Sud, notamment leurs paysans, au moment où une alliance entre des pays du Sud s'opposait à l'OMC qui projetait depuis Cancún une libéralisation des services. Opposition à l'OMC, soutien aux pays du Sud furent les ferments de ce qui nous réunit alors. Avec comme fil rouge des paysans, ceux du Larzac comme symbole, vite rejoints par d'autres et nouant des liens en Afrique, Amérique Latine...

Entre décembre 2003 et mars 2004 – pas même quatre mois – pour les élections régionales du printemps 2004, une liste altermondialiste avait été mise sur pied, emmenée par Jean-Pierre Bataille qui sortait du lourd, long combat contre AZF et pour les victimes de la catastrophe. Il fallut se frotter aux partis politiques, leurs pratiques, leurs archaïsmes mais aussi les bousculer, mettre le doigt où ça faisait mal, mettre aussi tout simplement de la vie citoyenne où des schémas entartrés perduraient. Le résultat fut une belle réussite : 100 000 voix en Midi-Pyrénées, des pointes à 20% sur Toulouse, près de 10% en Haute Garonne, pour Midi-Pyrénées 8% au total et quelques gros grains de sel qui manquaient pour atteindre les 10 points qui permettraient de s’émanciper du PS. Mais Malvy (tête de liste PS et futur Président régional) ne voulait rien négocier. Les 4 ou 5 élus légitimes et espérés ne pesèrent pas contre ses trois téléphones en panne qui – version « officielle PS » – interdisaient (« ô quelle malchance ») les négociations de dernière heure faute de contact...!
Le coup fut rude. Mais il était hors de question de s'en tenir à ça. Certains actaient qu’il restait « des choses à faire ». Mais quoi, comment… ? A l'automne 2004, nous fondions dans la foulée l’Alternative en Midi-Pyrénées. Un mouvement qui regroupa vite sur la région toutes les sensibilités "alternatives" que ce soit sur le terrain social, écologique et donc... altermondialiste. Nous étions clairement inscrits localement sur un terrain politique. Les échéances électorales étaient envisagées. Les propositions émanaient de discussions qui étaient plus dans la construction que dans la seule simple critique des partis "de gauche" auxquels nous nous opposions néanmoins. Je fus un des premiers à dire courant 2005, qu'à mouvement alternatif il fallait un média alternatif pour avoir au moins un moyen d'expression localement ainsi qu'une visibilité. L'idée fut validée. On me dit alors : "tu en as eu l'idée, c'est toi qui t'y colles." Voilà comment naquit Alters Échos (long débat sur son nom). Comment je me retrouvais étiqueté "rédacteur en chef" (sans savoir vraiment en quoi ça consistait...). Nous avions alors bénéficié de l'expérience des rédac chef de petits journaux alternatifs du Tarn, Tarn-et-Garonne et Gers (Point gauche 82, Confluences 81, Gavr'Auch,...). En février 2006, le numéro 0 sortit de chez l'imprimeur (I34) qui était de toutes les luttes locales.
 

Quelles évolutions depuis ?
Les trois piliers de départ "solidarité, altermondialisme, écologie" sont toujours là et toujours au coeur de la réflexion. Pourtant certaines choses ont changé. L'Alternative en Midi-Pyrénées qui avait localement trouvé des réponses positives et novatrices (engagement citoyen, appui sur des associations, lien évident des questions sociales et écologiques...) s'est trouvée débordée par des réponses nationales, chacune peut-être pertinente, mais qui réduisaient à néant la volonté de rassemblement de départ... Aussi la création d'Europe Ecologie et du Parti de Gauche - puis de la France Insoumise - proposait à chacun finalement de réduire son champ de vision alors que nous avions réussi à l'élargir. Et certaines et certains se sont trouvés (retrouvés) dans des réponses nationales oubliant le chemin tracé qui rassemblait des écologistes, féministes, militants pour le droit au logement, aux droits de l'homme, certains militants communistes même qui réussissaient à oublier leur productivisme et la nucléarisation de leur pensée.
Le journal, du coup, qui était sur une dynamique locale très politique dans le sens où les temps électoraux étaient intégrés a fait le choix évident de se déconnecter d'une immédiateté de réponse et de réaction. Il fallait éviter d'enfermer ceux qui continuaient à croire au creuset créé à un rapport schizophrénique au contexte.
En 2009 l'Alternative en Midi Pyrénées - sous perfusion - mourrait de sa belle mort. Alters Echos survivait, s'engageant sur un terrain qui proposait plus le recul, plus de réflexion, élargissant encore plus son regard au delà des frontières midi-pyrénéennes, retrouvant ainsi (trouvant pour le journal) sa vision sur le monde, ses luttes mais aussi surtout les engagements de femmes et d'hommes qui changeaient leur rapport aux autres, à la planète... Le temps des "dossiers" d'Alters Échos était venu...
En 2010 paraissait le premier numéro-dossier (le 23) passé au tamis "solidarité, altermondialisme, écologie" : "Réanchantier la culture".
Nous avons aussi toujours refusé une vision toujours plus unilatérale du monde. C'est pourquoi la bataille des mots, des mots justes, doit impérativement être menée. Face aux mots des pouvoirs : politiques, économiques, financiers, médiatiques, les mots des chroniqueurs-communicants, multinationales et lobbyistes. Eux savent que l'autorité est détenue par ceux qui "disent". Aussi, dès le premier numéro, a été ouverte la rubrique "Contresens" sous la pensée de Confucius :" Quand les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté". Après plus de 50 numéros, c'est autant de mots passés au scanner d'Alters Échos . Et pour fêter les 10 ans du journal, a été édité un petit recueil compilant "10 ans de gros mots/maux". Véritable petit dico pour éviter de passer à la moulinette sémantique.

L'altermondialisme a connu un certain retentissement dans les années 80 puis avec attac. Qu'est ce que l'altermondialisme aujourd'hui ?
Au départ, c'est bien en opposition au libéralisme, à l'OMC, au FMI, à une dérégulation effrénée profitant aux puissants face aux plus faibles que se bâtit ce mouvement. Les altermondialistes des années 80 sont les enfants des tiers-mondistes des années 60. Ils soutenaient alors l'idée de la responsabilité - incontestable - des pays du Nord sur la situation des pays du Sud. Notamment la pauvreté fruit de la colonisation. Ce soutien franc et volontariste de mouvements de l'hémisphère Nord se teintait (parfois) d'une certaine forme de paternalisme dont certains sortirent toutefois assez vite. En France, René Dumont, en plus d'être le premier candidat écologiste à l'élection présidentielle de 1974, aida à porter un autre regard sur les populations du Sud, les pratiques agricoles et les techniques ancestrales, rompant du coup avec le "paternalisme" colonialiste et post-colonialiste. Il semble être à la charnière entre le tiers-mondisme et l'altermondialiste.
Aujourd'hui, selon de nombreux observateurs, l'altermondialisme semble s'essouffler. Non pas que ce qu'il porte soit moins pertinent ou moins partagé, bien au contraire ! Mais les grands mouvements s'opposant aux sommets des pays les plus puissants paraissent sans doute plus stériles, les forums sociaux se multipliant (de façon heureuse) aux quatre coins de la planète ont, d'abord dilué les pics de participants en nombre, multipliant toutefois les individus impliqués au total. Puis, il y a eu une explosion (heureuse aussi) de mouvements ou ONG qui ont proposé des réponses concrètes, fédérant ainsi, alors que la visibilité de masse protestataire s'effaçait un peu. Une forme, donc, d'"institutionnalisation" du mouvement altermondialiste s'est opéré. Pour probablement du mieux et du moins bien.

Et vous l'avenir, vous le voyez comment ?
L'altermondialisme a muri dans la tête des individus alors qu'il s'affaiblissait quelque peu dans les grandes mobilisations. D'une part le niveau d'information et de communication des jeunes générations est plus important qu'ils n'étaient dans les années 80 à la naissance du mouvement. Les "rencontres" et échanges par les "moyens modernes de communication" prennent-ils le pas sur les rassemblements physiques ? D'autre part, ce que nous avons tous clamé, "un autre monde est possible", est toujours vrai mais sa pertinence, toujours valide, s'est déplacée. Nous sommes les premiers à dire aussi désormais que pour "changer" le monde plus grand chose ne reste à inventer. Il suffirait d'appliquer. Alors que nous avons longtemps cru que tout était à inventer. Alters Échos s'est d'ailleurs souvent penché dans ses dossiers sur ces "expériences" qui n'en sont plus du fait qu'elles durent depuis 30 ou 40 ans impactant la vie de milliers voire de millions de personnes de façon spectaculaire (par exemple le n°45 "Des acteurs d'utopie").
Enfin, jamais la question écologique et la question sociale n'ont été aussi clairement liées. Enfin, diront les vieilles barbes dont nous faisons partie. C'est devenu une évidence pour beaucoup. En 2009 nous avions créé à Toulouse les premières Journées d’Écologie Populaire dans le quartier défavorisé du Mirail. Si elles ne durèrent que 3 ans, elles fêtent leurs 10 ans à Auch. L'évidence commence à poindre.
L'avenir de l'altermondialisme risque finalement de passer par la question climatique tirant le fil social à lui. Les jeunes qui se mobilisent en masse là-dessus ne se prétendent certes pas "altermondialistes" mais le sont de fait.
Dans un état du monde assez désastreux concernant l'environnement, la répartition des richesses, l'accroissement des inégalités, nous voulons croire que la jeunesse, capable en un clic de se mobiliser partout dans le monde comme le 16 mars dernier où ils étaient quelque 350 000, saura non seulement protester mais investira les mouvements qui concrètement agissent au quotidien, s'investissent en politique car les citoyens seuls n'y arriveront pas. Des décisions majeures, essentielles, vitales devraient être prises au plus vite pour éviter la sortie de route complète.

Interview de Philippe Samson (Alters Échos) réalisée par Guillaume Doizy

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